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Véronique Durieux nous présente une série dérivée de huit grandes gravures, au format « grand jésus » (56 x 76 cm), où domine une belle palette de gris et noirs.

 

L’artiste a réalisé ces estampes dans l’atelier de Corinne Forget à Montreuil, avec la technique de la gravure au sucre : l’artiste dessine ses motifs (dessins, textes) au pinceau à même la plaque de zinc, dégraissée au vinaigre et au blanc de Meudon, avec une solution d'encre de Chine mélangée d'eau sucrée. Après séchage, l’artiste passe une couche de vernis avec un pinceau large et plat, puis, après une seconde phase de séchage, plonge la plaque dans un bac rempli d'eau bouillante. Le sucre fond avec l'encre de Chine en éliminant le vernis qui la recouvre. Le motif est alors prêt pour être travaillé à l'aquatinte : la plaque est recouverte de gomme arabique en poudre (l’aquatinte), puis passée sur une source de chaleur pour faire fondre la résine à l’endroit des passages encrés. La gomme arabique joue en quelque sorte un rôle de piège à encre. Dernière étape, la plaque est attaquée à l'acide dans les zones que les grains de résine fondus n'ont pas occultées, puis nettoyée à l’alcool et au white spirit. Il reste à encrer la plaque pour procéder aux tirages à la presse.

 

Que conclure de ce développement technique ?

 

Tout d’abord, la réalisation de ces gravures représente un labeur considérable où l’artiste s’implique physiquement, donne son temps et son énergie sans compter. Comme dans la sculpture, l’œuvre est en quelque sorte l’aboutissement d’un corps à corps avec la matière. Par rapport au dessin, spontané et très rapide chez Véronique, la gestation de l’œuvre est ici un long chemin.

 

Le tirage en soi est une épreuve, au sens propre du terme, il exige du temps. De ce fait, ces gravures ne sont imprimées qu’en un nombre minime d’exemplaires, deux ou trois au maximum, chaque tirage constituant une œuvre unique, l’encrage, le passage à la presse n’étant pas reproductibles à chaque impression.

 

On l’a compris, cette technique offre de ce fait une large variété d’effets de matières, toute une gamme de valeurs, de gris léger à noir foncé, suivant le temps de morsure de l’acide, la densité de résine déposée, la grosseur du grain…

 

Enfin, il s’agit d’une technique nouvelle pour Véronique Durieux qui a pourtant déjà pratiqué bien des media : huile, acrylique, dessin, lithographie, sculpture en terre, assemblages, et plus récemment travail du textile (à partir de nouveaux matériaux, fragments de voiles de bateau, toile de lin, etc.), et livres d’artiste.

 

C’est précisément à ces livres lithographiés, que nous avons déjà pu découvrir dans plusieurs de ses expositions et au rendez vous annuel du salon Pages, que ce travail se rattache.

 

Le rêve prend une place prépondérante dans l’œuvre de Véronique Durieux.

Véronique est une rêveuse impénitente qui note ses rêves au réveil dans de petits carnets intimes où la narration entremêle textes et dessins. Des notations spontanées, faites de mots qui sont autant d’indices permettant de « retrouver » ces rêves. De cette hygiène nécessaire -un rêve non retranscrit s’évapore-, l’artiste a entamé depuis une quinzaine d’années la réalisation d’une série de livres entièrement imprimés en lithographie, tirés à tout petit nombre, dont chacun relate un rêve. Chaque livre comporte huit pages où le dessin est  mêlé à des textes souvent lapidaires et sibyllins. Le lecteur non prévenu s’y perd et peine à reconstituer l’écheveau surréel que l’artiste nous propose de démêler. Ainsi, le rêve garde son mystère à travers ces « instantanés », ces images fixes puisés dans l’imaginaire de l’artiste et ces mots notés au réveil... Très figuratif en apparence, ce travail possède ainsi une bonne part d’abstraction, ce qui sauve la pudeur de l’artiste, les territoires de l’intime conservant leur part de terra incognitae. Par contre, l’inconscient du spectateur est stimulé, à lui de projeter sa propre psyché sur ces flashs, les puissances du rêve de Véronique Durieux catalysant ainsi les puissances de l’imaginaire de ses (a)mateurs.

 

Ici, la série de gravures présentée par Véronique Durieux, reprend, en grand format, les images de son dernier livre, « Je n’ai rien sur moi », qui relate un cauchemar récent.

 

Bien naturellement, il ne s’agit pas de reproduire en grand format les pages de ce livre mais de les réinterpréter, ce nouveau format leur conférant une dimension presque mystique. L’artiste ne s’autocopie pas, elle se magnifie. Le même processus s’observe chez Anselm Kiefer, dont les livres d’artiste, d’un format encore accessible, ont pris un caractère visionnaire dans ses expositions récentes.

 

Une dernière concession, Véronique Durieux a introduit des images de poissons et gravé des photos dans certaines de ces planches. Quand je lui ai demandé le sens de cette démarche, la réponse suivante a fusé : « c’est pour dérouter le regardeur ! ».

Pour rester dans cette même tonalité, je dirai que, dans cette série, Véronique Durieux nous propose un face à face imprévu, Marcel Duchamp le magicien et Anselm Kiefer le poète mystique pour qui rien n’est jamais trop grand.

 

Mais que nous raconte cette série de gravures ?

L’artiste se réveille en pleurs, angoissée, après un nouveau déménagement, un arrachement au terme duquel elle se retrouve dénuée de tout.

Elle n’a plus rien, sa vie, son œuvre sont en garde meuble.

Quelqu’un la quitte, l’abandonne, son amie lui dit qu’il n’a pas tort.

Elle devait jouer une pièce de théâtre, mais ne connaissait pas son rôle, elle cherche son rôle dans un livre, ne le trouve pas.

Elle voit un livre dans le sac de son professeur, le prend, déclenche son portable, le remet.

Elle arrive dans une pièce où un groupe de personnes est couché, pour avoir un rôle dans la pièce il faut se coucher.

Elle n’a pas de lit, quelqu’un est dans son lit, qui donc ?

Elle a perdu toute son identité, se sent abandonnée.

L’artiste se demande ce qu’elle fait sur cette terre.

Une damnée?

 

 

Pour notre plaisir, plaisir du nerf optique et, plus cérébral, du cortex.

 

 

 

Thierry Blanchon

Juin 2016

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